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le père la gloire.

Aussi, dès que le capitaine, l’homme de l’équipage qui s’y connaissait le mieux, fut certain d’être tombé sur une baleine franche, — ce sont celles qui donnent le plus d’huile et sont le moins dangereuses à combattre, — le branle-bas des pirogues fut-il plein d’enthousiasme. Les quatre canots s’élancèrent sous l’effort des nageurs, rapides comme une locomotive sur terre ferme.

L’animal entend le bruit des avirons et le reconnaît, car ce ne doit pas être la première fois qu’il l’entend. Il quitte son repas et prend la fuite, d’abord en ligne droite, puis en zigzag ; mais il est trop tard. Les pêcheurs reconnaissent, au cercle que sa queue fait en plongeant, la direction de sa course sous-marine. Ils savent que le monstre ne demeurera pas enseveli sous l’eau pendant plus d’un quart d’heure. Ils calculent, à peu de mètres près, l’endroit où il reparaîtra pour respirer et ils se placent aux quatre points d’un immense carré. Les rameurs ont quitté l’aviron. L’officier veille debout sur le gaillard d’arrière et le harponneur sur le gaillard d’avant. Soudain au milieu du carré la lame se soulève, la baleine reparaît, et le piqueur saisit son harpon qu’un bout de ligne réunit par un nœud coulant à la grande ligne de pêche. Tout son corps se roidit contre le roulis, il s’arc-boute en écartant les jambes, la cuisse gauche appuyée sur le rebord du gaillard et son pied droit sur son banc de rameur. Il vise, il attend que l’officier ait manœuvré la pirogue avec le grand aviron pour accoster l’animal par le flanc.

— Frappe, s’écrie une voix stridente.

Le harpon oscille, en reflétant les rayons du soleil, et du bord du navire, où me clouent ma jeunesse et mon inexpérience, je le vois frapper l’animal et disparaître dans sa peau noire. Aussitôt la pirogue disparaît dans l’écume que la baleine soulève en secouant sa blessure, puis je la revois emportée à la suite de l’animal furieux. La ligne est filée à moitié puis contournée autour d’une bitte sur le gaillard d’arrière. Mais l’embarcation file rapide em-