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six semaines dans un phare.

qui porte les cris plaintifs des pingouins. Au Chili ce sont les vagissements des veaux marins et le vol des grands oiseaux de proie nocturnes. À la Nouvelle-Zélande, ce sont les hurlements des chiens sauvages et les voix stridentes des vieilles femmes, qui, au lever de la lune, font leur prière à leur dieu.

— Il parle joliment bien, dit tout bas Paul à son oncle.

— J’ai beaucoup lu, reprit modestement le père La Gloire et puis, je me suis tant de fois répété ce que je viens de vous raconter !… Quand je chercherai mes mots, ce sera autre chose ! Mais je reprends mon récit.

Vers les premiers jours de mars nous quittâmes Hobart Town. Beau temps, belle mer, ronde brise, route au nord-est, c’est-à-dire vers la Nouvelle-Zélande. Nous sommes juste aux antipodes de la France. Enfin on arrive aux véritables lieux de la pêche. Partout à l’horizon flamboient les fourneaux des navires pêcheurs. Aussi, dès la pointe du jour on fait de la toile et les vigies ouvrent l’œil. Mille souffles de baleine surgissent dans toutes les aires du compas. Nos pirogues s’élancent, et la chasse commence, mais sans résultat. Une seule baleine a été harponnée emportant dans ses flancs douze cents pieds de cordes. Les hommes rentrent furieux et bredouilles. Le lendemain en nous éveillant, beau spectacle. Huit navires à trois mâts croisent toutes voiles larguées, en balançant leurs pavillons de reconnaissance. Tous américains ou français. Vers une heure, la vigie signale une baleine. Notre capitaine reconnaît bientôt, que l’animal qui tournoie à une lieue sous notre vent, est une baleine franche qui pêche tranquillement son dîner, au milieu d’un immense amas de petits insectes gros comme une puce qu’elle reçoit dans sa gueule avec la vague. La vague est rejetée en jet d’eau, mais les insectes sont retenus dans la barbe des fanons où ils se forment en boule, pour passer par le gosier si étroit du monstre. Il paraît qu’il lui en faut deux milliards pour une bouchée. Je n’ai pas compté.