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le père la gloire.

la tête dans leurs mains pour ne pas voir cet horrible spectacle. Ce ne fut qu’un moment d’angoisse, mais il suffit pour faire de moi un homme.

Tout à coup une voix forte nous cria : « Tribord, votre gouvernail, si vous ne voulez pas être écrasés ! » Au même moment le vaisseau nous frappa. Le choc fut terrible. Nos hommes y répondirent par de désolantes clameurs. Je crus tout perdu, et les mains pressées convulsivement contre les haubans, j’attendis la mort. Mes yeux démesurément ouverts crurent voir passer sur nous le vaisseau, pendant que la mer m’inondait de ses lames froides que le vent glaçait sur mon corps frissonnant. Quand la raison me revint, je pus voir à travers la confusion qui règne toujours à bord d’un vaisseau en danger, que notre quartier était atteint, le bateau de la poupe enlevé et le grand mât brisé. Le vaisseau, cause de toutes ses avaries, disparaissait dans la brume comme un fantôme.

Une fois tout danger passé, le calme revint à bord. L’officier fut mis en prison pour s’être endormi étant de quart, et je repris ma misérable vie que n’adoucirent pas les procédés cruels du contre-maître. Ce fut bien pis quand l’officier qui avait appris que j’étais l’auteur de sa disgrâce fut mis en liberté. Je n’étais plus bon qu’à jeter aux requins. Mais les détails de mes malheurs seraient trop peu intéressants. Qu’il vous suffise de savoir, que j’en étais arrivé au point de ne plus pouvoir supporter la vie du bord, et pourtant, l’explique qui voudra, je n’étais pas dégoûté de la vie de marin.

Une nuit, le vaisseau était amarré dans la mer de la Chine, près d’une île dont j’ai oublié le nom parce que je ne l’ai jamais su ; on m’ordonna d’aller me coucher dans le bateau qui était derrière le bâtiment afin de le garder. En entendant cet ordre, je bondis de joie, mais sous le regard inquisiteur de mon ennemi, je tâchai de me modérer et j’obéis en baissant la tête,