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le père la gloire.

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servir comme mousse privilégié, ma situation devint insupportable, comme celle des autres mousses qui, eux du moins, y étaient habitués et en riaient. Aux fonctions serviles et abjectes que mes camarades et moi nous étions obligés, de remplir, le premier contre-maître ajouta le tourment de sa haine. Un jour étant en faction avec lui, il m’injuria et m’accabla de coups. Ne pouvant me défendre, je fus dès lors en butte à ses moqueries et à ses mauvais traitements.

L’officier auquel je me plaignis haussa les épaules et me répondit :

— Votre usurier de père me vole mes profits, et il vous a mis à bord pour lui servir d’espion. Ce vieux juif ne s’est pas contenté de ma parole, il lui a fallu un écrit, mais je veux bien être pendu si je ne fais pas de vous un domestique.

Ma vie devint de plus en plus triste et misérable. Le capitaine vivait à bord comme une espèce de demi-Dieu et se croyait supérieur à l’humanité entière. Il ne fréquentait que quelques passagers, et tous ses ordres étaient transmis à l’équipage par le premier officier, mon ennemi. Une nuit, nous étions à la hauteur de Madère, et le vent soufflait avec violence. La vigie cria : Une voile à bâbord ! Très-bien, répondis-je. Je vais avertir, mais, avant de remplir ma mission, je jetai un coup d’œil sur la mer, où je ne vis qu’un énorme nuage noir. L’officier était endormi sur la glissoire d’une caronade. La vue de ce sommeil si calme en face de la tempête fit naître en moi mon premier sentiment de haine et de vengeance. Je ne troublai pas le sommeil de mon ennemi, et me glissant chez le capitaine :

— Il y a un grand vaisseau sur notre côté, m’écriai-je, et je ne sais pas où est l’officier de quart.

Le capitaine se précipita sur le pont, et courut jusqu’à l’officier qui dormait encore, et ne se réveilla qu’à l’appel de son nom. Sans répondre aux excuses que balbutiait le coupable,