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le père la gloire.

marchande a des histoires qui ne mettent pas l’âme à l’envers, comme votre marine de guerre, où il n’y a que des coups à recevoir et pas d’argent à gagner.

Le capitaine voyant son neveu désireux d’entendre encore parler un marin, alla l’embrasser, lui recommanda d’être calme, et chacun s’apprêta à écouter. Clinfoc seul trouvait toujours moyen de retarder, espérant que, chez Paul, le sommeil serait plus fort que la curiosité.

Mais il n’en fut rien. Au contraire.

Enfin le père La Gloire put commencer son récit qui ne devait plus guère être interrompu que par les exigences du service du phare. Nous le donnons dans toute son intégrité, nous contentant, comme font les sténographes à la chambre, de signaler les interrupteurs et de noter les interruptions :


récit du père la gloire.


— Il y aura quarante-sept ans le 22 mai prochain qu’à l’âge de douze ans, je quittai le Havre pour un voyage au long cours. Voici comment et pourquoi :

Mon père était un de ces commerçants qui, surtout à cette époque, échangeaient aux officiers des vaisseaux marchands de retour des grandes Indes ou de la Chine leurs cargaisons, pour des marchandises de production française ou anglaise, dont ceux-ci faisaient à leur tour bon marché à Canton ou à Calcutta. Il était en compte courant avec tous les officiers du port : beaucoup d’entre eux lui devaient même de l’argent.

M. Rouillard, — c’est le nom de mon père ; mon sobriquet de La Gloire ne devait me venir que plus tard, — M. Rouillard donc était très-connu sur la place du Havre, et chaque année lui rapportait des bénéfices considérables. Si je n’avais pas peur de