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récit de chasse-marée.

— Le capitaine ! chuchota tout l’équipage, et, au milieu du grand silence qui suivit, une voix mâle et sonore nous jeta ces mots du haut de son banc :

— Tout le monde sur le pont ! Toutes voiles dehors ! Branle-bas général de combat !

À ce commandement, que suit un charivari infernal, le bastingage s’encombre de sacs et de hamacs destinés à amortir la mitraille, les coffres d’armes sont ouverts, les fanaux sourds éclairent la soute aux poudres, le chirurgien, notre cauchemar, prépare ses instruments de travail, les panneaux se ferment, les garde-feux, remplis de gargousses, arrivent à leurs pièces, les écouvillons et les refouloirs se rangent auprès des servants, les bailles de combat s’emplissent d’eau, les boute-feux s’allument. Chacun est à son poste de combat.

Le navire ennemi grandit à vue d’œil, et le Triton, courant à contre-bord, l’approche bravement sous un nuage de voiles. À portée de dix-huit, un boulet part et siffle dans nos cordages. Le pavillon anglais est monté à la corne d’artimon. Le Triton ne répond pas et continue sa marche. L’Anglais, irrité de ce silence, nous envoie toute sa bordée.

Le capitaine éclate de rire et nous crie :

— Enfants, n’ayez pas peur ! Je connais ce particulier-là ! Il contient un chargement qui vaut plusieurs millions ! Il est plus fort que nous, c’est vrai, et il y aura du poil à hâler pour l’amariner, mais il en vaut vraiment la peine. Surtout pas de canons ! Laissons-les tranquilles, ce gros lourdeau nous coulerait avec ses cache-mitraille. À l’abordage !… Chargez-vous chacun d’un homme et le navire est à nous ! Lieutenant, nous allons rattraper ce portefaix en feignant de vouloir le canonner par sa hanche du vent. Quant à ses canons, nous sommes trop ras sur l’eau, pour les craindre ; les boulets passeront par-dessus nous. C’est entendu !