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six semaines dans un phare.

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J’eus beau le supplier de n’en rien faire ; quand il vit que je ne pouvais plus le suivre, il me fit ses adieux, et, sans m’écouter, monta sur le pont, traversa les rangs des matelots épouvantés et surpris, puis prenant son élan et franchissant les bastingages, il se précipita à la mer.

Un quart d’heure plus tard, le capitaine, délivré par mes soins, me faisait reconduire à mon ponton. Ma rentrée fut cruelle, on me mit au cachot tout grelottant de froid et privé de mes vêtements. Comment ne suis-je pas mort ? je n’en sais rien. Le lendemain, on me permit de reprendre ma place dans la batterie, et mes camarades d’infortune, touchés de ma position et de la hardiesse que j’avais montrée en m’évadant, me prêtèrent une vieille capote et un pantalon de toile.

En m’habillant, je sentis quelque chose de collé sur le corps, c’était une petite ceinture goudronnée dans laquelle étaient les vingt livres gagnées par Robert. Je ne puis m’empêcher de pleurer de rage en pensant que mon ami, s’il avait réussi à s’évader, serait sans ressource aucune. Je me demandais ce que j’allais faire de cet argent quand je vis les prisonniers courir aux sabords de tribord et regarder avec anxiété.

Ah ! quel horrible spectacle ! j’aperçus échoué sur la vase qui entourait le pont et que la marée laissait presque à sec, un cadavre que le reflux venait d’y déposer. C’était Robert que les Anglais radieux inspectaient avec leurs lorgnettes. Ils avaient reconnu le vainqueur de la veille !

Un canot se dirigea bientôt vers la dépouille mortelle du pauvre Breton. Nous espérions que les matelots l’envelopperaient dans un linceul, mais ils lui attachèrent à la jambe une longue corde et se mirent à traîner à la remorque sur la vase le cadavre de Robert.

Un cri d’horreur et de vengeance s’échappa de toutes les poitrines, et peu s’en fallut qu’une révolte n’éclatât, quand ce ca-