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HIPPOLYTE.

Que c’eſt de nostre vie, helas bons Dieux que c’est
Des choſes de ce monde, où n’y a point d’arrest !
N’agueres il n’estoit ſur la maſſe terreuſe,
Famille qui fuſt tant que ceste-cy heureuſe,
Et auiourd’huy fortune habile en changement,
Culbutee à l’enuers, l’accable en vn moment.

Allez Rois, & penſez que l’inſtable Fortune
Ne vous ſoit comme à nous vne crainte commune :
Allez, & estimez que la felicité
De vos ſceptres tant craints, dure en eternité :
Vous trebuchez ſouuent d’vne plus grand’ruine,
D’autant que vostre main plus puiſſante domine,
„Les grands Rois de ce monde aupres du peuple bas,
„Sont comme les rochers, qui vont leuant les bras
„Si hauts & ſi puiſſans sur la planiere terre :
„Mais qui fouuent außi ſont battus du tonnerre :

Hà lugubre maiſon, auiourd’huy ta grandeur
Tombe ſous le tiſon d’vne amoureuſe ardeur !
Hà Royne desolee ! auras-tu le courage
De voir faire à ton cœur, à ton cher cœur outrage ?
De voir innocemment, & par ton faux rapport
Ce chaste iouuenceau ſoupirer à la mort ?

Et toy pauure vieillotte, authrice malheureuſe
D’un eſclandre ſi grand pour ta Dame amoureuſe,
Pourras-tu regarder le ſaint thrône des Dieux ?
Pourras-tu plus leuer la face vers les cieux,
Et tes ſanglantes mains, coupables de l’outrage
De ce ieune ſeigneur au plus beau de ſon âge ?

Il me ſemble deſia, que les flambeaux ardans
Des filles de la Nuict, me bruſlent au dedans :
Il me ſemble deſia ſentir mille tenailles,
Mille ſerpens retors morceler mes entrailles.
Ie porte, ains que ie tombe en l’aueugle noirceur
Du riuage infernal, mon tourment puniſſeur.