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M. ANTOINE.

Pauure Antoine, dés l’heure vne paſle Megere
Erineuſe de ſerpens, encorda ta miſere !
Le feu qui te bruſla n’eſtoit de Cupidon,
(Car Cupidon ne porte vn ſi mortel brandon)
Ainçois d’vne Furie, ains le brandon qu’Atride
Sentit iamais bruſler ſon ame parricide,
Quand errant forcené la rage dans le ſang,
Il fuyoit ſon forfait, qui luy preſſoit le flanc,
Empreint en ſa moüelle, le fantôme paſle
De ſa mere ſortant de l’onde Stygiale.
Antoine, pauure Antoine, helas ! dés ce jour là
Ton ancien bon-heur de toy ſe recula :
Ta vertu deuint morte, & ta gloire animee
De tant de faits guerriers ſe perdit en fumee.
Dés l’heure les Lauriers, à ton front ſi cognus,
Meſpriſez firent place aux Myrtes de Venus,
la trompette aux hauts-bois, les piques & les lãces,
Les ltarnois eſclatans aux feſtins & aux dances.
Dés l’heure, miſerable ! au lieu que tu deuois
Faire guerre ſanglante aux Arſacides Rois,
Vengeant l’honneur Romain, que la route de Craſſe
Auoit deſembelli, tu quittes la cuiraſſe,
Et l’armet effroyant pour d’vn courage mol
Courir à Cleopatre, te pendre à ſon col,
Languir entre ſes bras, t’en faire l’idolatre :
Bref, tu ſoumets ta vie aux yeux de Cleopatre.
Tu t’arraches en fin, comme vn homme charmé
S’arrache à l’enchanteur qui le tient en fermé
Par vn forçable ſort : Car ta raiſon premiere,
Debrouillant les poiſons de ta belle ſorciere,
Reguarit ton eſprit lors de toutes pars
Tu fais refourmiller la terre de ſoldars :
L'Aſie en eſt couuerte, & ià l’Eufrate tremble,
Devoir deſſus ſon bord tant de Romains enſemble