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Jamais je n’oublierai l’expression de profonde indignation et de douleur tout à la fois que cet événement amena sur le noble visage de l’Hermite.

— Malheureux Graffin ! murmura-t-il d’une voix tellement pénétrante que j’oubliai un moment les dangers qui me menaçaient pour m’associer tacitement à sa douleur ; malheureux Graffin !

Puis revenant tout de suite au sentiment de la justice et à celui du devoir :

— Il faut, reprit-il, que ce vaisseau ait bien souffert, puisqu’il se rendait ainsi à discrétion. Après tout, ce n’est pas sur lui que doit retomber la honte de la trahison ; c’est sur la corvette qui l’a forcé de manquer à sa parole !… Allons, enfants, continua l’Hermite en élevant la voix et en s’adressant à l’équipage, vous voyez que le vaisseau de la Compagnie a amené son pavillon… encore un peu de patience et nous en aurons bon marché !… Courage, enfants’ pointez en plein bois, toujours en plein bois !…

Tandis que l’Hermite, afin d’en finir avec ce navire, dont la capture définitive pouvait et devait même nous assurer la victoire, ordonnait à notre artillerie de bâbord de diriger exclusivement tout son feu sur lui, une sautée de vent, événement aussi imprévu que fatal pour nous, permettait à la corvette de se placer presque en proue de la Preneuse, et de l’accabler d’un pointage d’enfilade auquel nous ne pouvions répondre qu’avec nos quatre canons de chasse.

L’Hermite, sans se laisser distraire de ses projets par ce feu meurtrier, continuait, question pour nous de vie ou de mort, à diriger le feu sur le vaisseau de la Compagnie. Dix fois, en voyant ses batteries se taire graduellement et faiblir, nous crûmes à notre victoire ; mais dix fois de nombreuses embarcations lui apportèrent de nouveaux combattants, et son feu recommença toujours.