Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/93

Cette page n’a pas encore été corrigée

veillaient, prévenus et par conséquent redoutables, des ennemis se préparant dans le mystère à nous attaquer ; enfin le souvenir de cette magnifique baie de Lagoa à peine entrevue le matin même de ce jour, à travers l’ombre projetée par ses grandes montagnes, ainsi qu’un songe grandiose et confus dont on conserve une impression profonde, sans pouvoir toutefois en garder un souvenir précis ; tous ces éléments réunis d’excitation et de poésie éloignaient le sommeil de mes paupières et stimulaient au dernier point mon imagination…

De temps en temps rentrant, pour un moment, dans la vie réelle, à laquelle me ramenait forcément mon devoir, j’essayais de percer d’un regard vigilant et hélas ! inutile, l’obscurité de la baie. Bientôt il nous sembla qu’il s’opérait dans la rade, quelque chose sinon d’extraordinaire, du moins d’assez suspect et digne de fixer toute notre attention. Le passage fréquent de fanaux que j’entrevoyais glissant à travers les sabords des navires ennemis me donnait de graves présomptions de penser que l’on s’occupait de nous : toutefois je réfléchis qu’il était encore de trop bonne heure pour que ces préparatifs pussent annoncer l’intention d’hostilités immédiates, et je ne fis part de mes observations à personne.

J’étais assis, vers les neuf heures, à mon poste de combat, c’est-à-dire sur la dunette, lorsque le capitaine, qui se promenait sur le gaillard d’arrière avec un officier du bord, l’enseigne Graffin, qu’il affectionnait avec raison particulièrement, s’arrêta près de moi, et lui adressant la parole :

— Définitivement, Graffin, lui dit-il, l’illusion ne nous est plus permise : nous sommes découverts ; cela ne fait pas un doute pour moi.

— Qui sait, capitaine ? peut-être bien que, tourmenté