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Cependant, le moment de la colère passé, et il fut long, car il dura jusqu’à la tombée de la nuit, M. Bruneau de la Souchais finit par se conformer à l’ordre de l’amiral, et abandonna, en même temps que le capitaine l’Hermite, ces malheureux parages.

La triste issue de cette croisière, si misérablement entravée par la tiédeur espagnole, jeta un profond découragement dans nos équipages, et ce fut sans joie et sans entrain que nous fûmes relâcher de nouveau à Cavit-le-Vieux. La pénurie dans laquelle nous nous trouvions faisait pour nous du séjour à terre plutôt une longue privation qu’une distraction : nous préférions rester à bord.

Je m’empressai, néanmoins, le jour même de notre arrivée, de demander la permission de descendre, et je courus chez la veuve Encarnacion m’informer de Kernau. Je trouvai la vieille femme fumant toujours un gros cigare. Dès qu’elle m’aperçut, elle éclata une seconde fois en sanglots.

— Ah çà ! lui dis-je, qu’avez-vous donc à pleurer ? Aurait-on encore enlevé votre fille ?

— Hélas ! oui, encore une fois… Ma pauvre Gloria va finir par en prendre l’habitude, et elle ne pourra plus rester avec moi… Que je suis malheureuse !…

— Et quel est le nouveau ravisseur ?

— Le señor Kernau, donc !

— Ah, bah ! Et avez-vous des nouvelles de lui ?

— Aucune ; on m’a rapporté qu’il s’était embarqué sur un corsaire espagnol… j’ignore si cela est vrai…

Toutes les démarches postérieures que je fis pour retrouver mon matelot ne furent pas couronnées d’un meilleur succès que cette tentative, et je dus repartir de Cavit sans avoir pu me procurer le moindre renseignement sur son compte.