Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée

vis de moi ses airs doucereux qui m’épouvantaient tant, et ne me regarda plus que d’un œil féroce ; aussi n’eus-je plus à me plaindre de lui.

Les enseignes, MM. du Houlbec et Olivier, jeunes gens pleins de cœur et de bonté, venaient également voir de temps en temps mes dessins, et choisissaient ceux qui leur plaisaient le plus ; ils me soutenaient tous les deux de leurs encouragements, et m’aidaient de leurs conseils ; en un mot, je me trouvais très heureux à bord de la Brûle-Gueule ; et n’eût été la monotonie de notre croisière, qui jusqu’alors semblait ne devoir aboutir à aucun résultat, rien n’eût manqué à mon bonheur. L’équipage aussi, qui avait fondé sur la prise du convoi anglais de joyeuses espérances, se montrait presque découragé, lorsque nous atteignîmes les parages de la Chine.

Étant en vue des îles Ladrones, nous fûmes accostés par un bateau du pays, qui vint nous vendre des fruits, et nous apprîmes par ceux qui le montaient que le convoi anglais se trouvait, en ce moment, mouillé à trente milles tout au plus de nous.

Cette nouvelle réveilla l’enthousiasme engourdi de nos équipages, ou, pour être plus exact, lui donna des proportions inouïes et qu’il n’avait jamais atteintes encore. Les hommes, sevrés depuis longtemps d’argent et de plaisirs, se sentaient un appétit féroce de jouissances et se promettaient de se dédommager avec usure de leurs privations passées. Nous étions tellement assurés du succès, notre imagination était montée à une telle hauteur, que pas un parmi nous n’eût consenti à vendre sa part future de prise, pour une forte somme d’argent comptant.

Que l’on juge de notre joie frénétique, quand, le lendemain vers deux heures, nous aperçûmes deux vaisseaux anglais ancrés à six milles à