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et m’enlevèrent de dessus le cœur un poids énorme qui m’étouffait.

Le capitaine d’armes, dont le grade correspond à celui de sous-officier, s’inclina, et s’en fut immédiatement porter cet ordre à la cambuse. M. Frélot, je dois cet aveu à l’impartialité, paraissait fort désagréablement surpris, presque affecté. À midi, lorsque l’on servit le dîner à l’équipage, j’allais m’asseoir tranquillement par terre à ma place habituelle, quand un novice m’avertit que le capitaine me demandait. Je trouvai M. Bruneau de la Souchais se promenant tranquillement sur la dunette.

— Monsieur Garneray, me dit-il avec cet air affable et ces manières de grand seigneur que personne au monde ne possédait mieux que lui, si vos travaux d’art permettent de disposer d’une heure de votre temps, je serais heureux de vous avoir aujourd’hui à dîner avec moi.

Un profond salut fut ma seule réponse.

— Eh bien ! me demandèrent mes camarades en me voyant, de retour parmi eux, dédaigner le maigre plat de haricots durs et de lard salé qui composait notre ordinaire, est-ce que les paroles du capitaine t’ont coupé l’appétit ?

— Justement ; car le capitaine m’a invité à dîner aujourd’hui avec lui, et je me ménage pour pouvoir faire honneur tantôt à sa cuisine.

Cette nouvelle produisit une émotion profonde sur mes auditeurs.

— Cré mâtin, me dit un vieux loup de mer placé près de moi, t’as d’la chance, mais je ne voudrais pas, pour dix parts de prise, me trouver dans ta peau.

— Pourquoi cela ?