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Depuis cette époque, chaque fois que j’avais terminé un dessin, je le portais immédiatement au maître voilier, qui presque toujours l’acceptait ; je dis presque toujours, car je dois cependant avouer qu’il m’en fit effacer plusieurs ; si ma mémoire ne me trompe pas, je crois que ceux-ci étaient justement les moins mauvais.

Une remarque aussi triste que vraie est celle que les hommes pardonnent rarement une supériorité à leurs sem­blables. Si j’eusse été un officier, mes infimes essais n’eussent certes éveillé la jalousie de personne ; mais j’étais un simple matelot, et mes égaux, par la position et le rang, prirent bientôt ombrage de mes petits succès : aussi mettaient-ils souvent une certaine perfidie à m’interrompre dans mes travaux pour m’envoyer accomplir certaines corvées dont ils auraient fort bien pu me dispenser.

Une petite mésaventure m’arriva, à cette époque, par suite de ma rage pour le dessin. Ayant eu plusieurs fois entre mes mains, en ma qualité de timonier, le journal de bord, je n’avais pu résister à la tentation, par trop forte, d’une feuille de papier blanc et d’une plume à peu près taillée ; et je m’étais permis de griffonner en marge des observations que consignait chaque officier à la fin de son quart, des navires de toutes formes et de toutes grandeurs.

Un matin, le lieutenant en pied, ou second de la corvette, M. Frélot, officier fort sévère, et qui, en général, se montrait peu bienveillant, aperçut, en jetant un coup d’œil sur le journal de bord que je venais d’apporter au lieutenant Shild, dont le quart de huit heures du matin finissait, une de mes productions antiréglementaires.

M. Frélot me lança un de ces regards que je ne connais­sais que trop bien, et qui chez lui étaient presque