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peu et causons bien. Peux-tu, d’ici à une demi-heure, nous servir un déjeuner soigné ?… Tu me parleras ensuite de ta santé au dessert.

— Vous voulez déjeuner, seigneurie ? Hélas ! je n’ai pas l’esprit assez libre pour m’occuper de pareilles affaires, répondit la Encarnacion en fondant tout à coup en larmes.

— Ah ! ça, c’est bête ! s’écria Kernau ; ça va nous retarder notre repas d’une heure. Voyons, que diable ! ne pleurez pas comme ça… puisque j’ai l’estomac creux.

— Ah ! si vous saviez, seigneurie…

— Tu nous raconteras cela à table…

— On a enlevé aujourd’hui ma jeune fille, mon adorée Gloria…

— Ah bah ! ça a dû lui faire plaisir, à c’tt’enfant… Il faut, après tout, qu’elle ait grandi tout de même ; car la dernière fois que je la vis elle m’arrivait à peine au coude… Ah ! on l’a enlevée ce matin… Eh bien, alors, sers-nous tout de suite à déjeuner… On te la rendra… c’est sûr…

— Ah ! seigneurie, et son honneur ?…

— Hein ! plaît-il ? Toujours des bêtises… Adieu, je m’en vais ailleurs… Bien de l’agrément, et que le diable emporte ta cassine !… Tu peux compter que je ne mangerai plus mes parts de prise ici…

Cette menace calma comme par enchantement la douleur de la pauvre mère, qui, essuyant aussitôt ses larmes, et rallumant son cigare, nous demanda ce que nous désirions.

— Tout ce qu’il y a de mieux… et beaucoup, répondit Kernau.

Une heure plus tard, le moine Perez, mon matelot et moi, attablés tous les trois, nous causions aventures de mer, lorsque notre hôtesse vint nous retrouver.