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— Allons, du courage, me dit-il quand je fus convalescent ; nous nous retrouverons bientôt sur un pont de navire ensemble.

— Le moment de mettre à exécution ton projet n’est donc pas encore venu ?

— Ah ! sacré mille noms ! tu me prends donc pour un chenapan fini, que tu m’adresses une question semblable ? Quitter son matelot quand il est embêté et qu’il peut avoir besoin de vous… Allons donc ! c’est cocasse comme tout, ce que tu me dis là… Ce n’est pas une raison, parce que l’on aime son indépendance, pour que l’on manque de cœur et que l’on soit un chien…

Le 27 avril 1798, je sortis de l’hôpital de l’île de France pour m’embarquer, en qualité, non plus de pilotin, mais bien de matelot, sur la corvette de vingt-deux canons, le Brûle-Gueule, qui partit presque aussitôt pour Samarang, où nous mîmes à terre l’amiral Sercey, qui avait quitté la Forte. De Samarang nous fîmes route pour Batavia, où se trouvait la frégate la Preneuse, capitaine l’Hermite.

Dès lors cet officier prit le commandement des deux navires. En sortant de Batavia, notre petite division relâcha de nouveau quelques jours à Samarang ; puis, n’ayant rencontré aucun navire ennemi, elle se dirigea vers les îles Philippines. Kernau maigrissait d’ennui, à vue d’œil ; mais il ne se plaignait jamais, par générosité, devant moi, de l’horreur que lui inspirait le service sur un navire de guerre.

À l’atterrage, nous reçûmes un coup de vent si terrible, que le Brûle-Gueule fut obligé de caréner. Cet accident remplit mon matelot de joie.

— Vois-tu, vieux, me dit-il avec enthousiasme lorsque les deux navires mouillèren dans le port de Cavit-