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En arrivant à Batavia, nous trouvâmes la corvette le Brûle-Gueule, capitaine Bruneau de la Souchais.

Nous étions déjà depuis quelques jours mouillés dans la rade, lorsque mon cousin me fit prévenir qu’il avait à me parler : je m’empressai de passer sur la Forte.

— Louis, me dit-il, je vais probablement retourner en France, et tu conçois que je t’aime trop pour que je songe à t’emmener avec moi… Je ne suis pas un assez mauvais parent pour vouloir te faire quitter la mer des Indes, où il y a beaucoup de dangers à courir et de la gloire à gagner. Tu es assez grand pour voler de tes propres ailes : vole le plus haut que tu pourras.

Mon cousin, après m’avoir annoncé notre séparation, m’emmena à terre avec lui et me garda à dîner. Dans la soirée, il me présenta au capitaine du Brûle-Gueule, M. Bruneau de la Souchais, et me recommanda à sa bienveillance comme si j’eusse été son propre fils. Cet officier, aussi homme du monde qu’il était bon marin, accueillit la demande de son collègue de la meilleure grâce et l’assura qu’il le remplacerait, autant que possible, auprès de moi : je dois me hâter d’ajouter que M. de la Souchais accomplit régulièrement cette promesse, et que je n’eus, une fois à bord de son navire, qu’à me louer complétement de sa bonté.

L’heure de me retirer venue, mon cousin me serra énergiquement la main, et me souhaita, d’une voix attendrie, toutes sortes de bonheurs.

Je lui retournai ses vœux ; mais m’interrompant aussitôt :

— Bah ! continua-t-il, je me fais vieux, et l’heure de la non-activité arrive à grands pas pour moi. Que deviendrai-je, lorsque, privé de mon banc de quart, il me faudra rester seul et solitaire à terre ? Cette idée m’épouvante !