Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/348

Cette page n’a pas encore été corrigée

n’est pas probable, car alors, au lieu de faire parade du nombreux équipage qui encombre son pont, il l’aurait en ce cas dissimulé avec le plus grand soin.

— Ah ! nous dit Surcouf, qui partage lui-même nos incertitudes, je croyais ce John-Bull un East-Indiaman… Voici à présent de nombreux officiers de l’armée de terre qui se montrent sur son pont, et rendent cette supposition invraisemblable… Enfin, n’importe, reprend le Breton après un moment de silence en broyant, sans s’en douter, son cigare entre ses dents, qu’il soit ce qu’il voudra, peu nous importe ! L’essentiel, pour le moment, c’est de nous en emparer ! Ainsi donc, hissons le pavillon français en l’assurant d’un coup de canon.

Cet ordre, qui rend le combat inévitable, est exécuté.

Alors Surcouf appelle l’équipage autour de lui, et, je me souviens de ce discours comme si je l’avais entendu prononcer hier, il lui parle ainsi :

— Mes bons, mes braves amis ! vous voyez sous notre grappin, par notre travers, et voguant à contre-bord de nous, le plus beau vaisseau que Dieu ait jamais, dans sa sollicitude, mis à la disposition d’un corsaire français !… Ne pas nous en emparer, et cela vivement, tout de suite, serait méconnaître la bonté et les intentions de la Providence et nous exposer, par la suite, à toutes ses rigueurs. Sachez-le bien, ce portefaix qui nous débine à cette heure contient un chargement d’Europe qui vaut plusieurs millions ! Il est plus fort que nous, direz-vous, j’en conviens ; je vais même plus loin, j’avoue qu’il y aura du poil à haler pour l’amariner. Oui, mais quelle joie quand, après un peu de travail, nous nous partagerons des millions ! Quel retour