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sa lunette en bandoulière et sans entrer dans aucune explication, sur les barres du petit perroquet. Une fois rendu à son poste d’observation et bien en selle sur les traversins, il braqua sa longue-vue sur l’horizon. L’attention de l’équipage, excitée par la cupidité, se partagea entre la voile en vue et Surcouf.

— Laissez arriver ! mettez le cap dessus ! s’écrie bientôt ce dernier en passant sa longue-vue à M. Drieux.

Un charivari infernal suit cet ordre ; la moitié de l’équipage, qui repose en ce moment dans l’entrepont, se réveille en sursaut, s’habille à la hâte sans trop tenir compte de la décence, et envahit précipitamment les panneaux pour satisfaire sa curiosité ; en un clin d’œil, le pont du navire se couvre de monde : on s’interroge, on se bouscule, on se presse en montant au gréement, chacun veut voir !

Surcouf réunit alors son état-major autour de lui et nous interroge sur nos observations. Ce conseil improvisé ne sert pas à grand-chose. Chacun, officier, maître, matelot, donne tumultueusement son avis ; mais cet avis est en tout point conforme à celui de notre commandant : c’est-à-dire que le navire en vue est à dunette, qu’il est long, bien élevé sur l’eau, bien espacé de mâture ; en un mot, que c’est un vaisseau de guerre de la Compagnie des Indes, qui se rend de Londres au Bengale et qui, en ce moment, court bâbord amure et serre le vent pour nous accoster sous toutes voiles possibles. À présent, ce navire doit-il nous faire monter à l’apogée de la fortune, ou nous jeter, cadavres vivants, sur un affreux ponton ? C’est là un secret que Dieu seul connaît ! N’importe, on risquera la captivité pour acquérir de l’or ! L’or est une si belle chose, quand on sait, comme nous, le dépenser follement.