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tout, ces malheureux n’ont pu résister à une fatigue au-dessus de leurs forces, au soleil ardent, dont les rayons brûlants comme la lave d’un volcan tombent mortels sur leurs têtes : ils sont en proie au délire.

« Plusieurs de mes matelots aux aguets, comme moi, remarquent aussi ce fatal événement. Un moment ils se consultent entre eux, puis s’avancent vers moi :

« – Capitaine ! me disent-ils, nous ne sommes pas très robustes, mais la bonne volonté ne nous manque pas, et avec l’aide de Dieu, l’on peut bien des choses. Nous ne pouvons en tout cas laisser périr ainsi et votre fils et les camarades qui se sont dévoués pour nous. Il nous reste encore une pirogue… avec votre permission, nous allons la mettre à la mer.

« – Non, mes amis, leur dis-je en faisant taire dans mon cœur, devant le sentiment du devoir, le désespoir que j’éprouvais, non, cela ne se peut, car votre projet, certes, compromettrait le sort du navire.

« Mes matelots insistèrent, mais je ne voulus pas démordre de ma résolution, et ils durent finir par céder devant ma volonté.

« Un seul espoir me restait, celui qu’à la tombée de la nuit les gens du canot, rafraîchis par l’absence du soleil, retrouveraient alors assez de force pour regagner notre bord.

« Ce dernier espoir ne devait pas me rester longtemps, car bientôt je manquai de m’évanouir de crainte et d’horreur en voyant les canotiers montés sur leurs bancs, dénués du petit tendelet qui les ombrageait, se saisir de leurs avirons avec une force surhumaine et qui constate l’intensité de leur délire, et faire de cet instrument de salut un instrument de carnage, une arme de désespoir.