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sévissait dans toute sa force, lorsque notre chirurgien en fut atteint lui-même et en mourut ! À partir de ce moment, les malades abandonnés au hasard désespérèrent de leur position, et se livrant sans résistance au fléau qui les terrassait, perdirent toute confiance dans l’avenir et commencèrent à succomber avec une effrayante rapidité.

« Chaque matin, lorsque je me levais après une nuit d’insomnie, mon premier regard était pour le ciel, que j’examinais avec angoisse ; mais rien n’y décelait un changement de temps ; partout des indices de calme et de chaleur, nulle part l’espoir de voir s’élever la brise. Cependant, je prenais sur moi-même d’assurer aux passagers que le calme ne pouvait continuer, que j’étais même certain que d’ici quelques heures un vent violent se lèverait. Je réussissais ainsi à ranimer un peu la confiance des malheureux malades ; mais en voyant chaque jour mes prophéties démenties, mes promesses ne pas se réaliser, ils finirent enfin par m’accuser d’incapacité, par ne plus ajouter foi à mes paroles et par retomber dans leur profond découragement. Que vous dirai-je de plus, capitaine ; quarante-six jours s’écoulèrent ainsi. L’eau et les provisions vinrent à nous manquer, et si mon équipage résistait mieux que mes passagers à la fatigue, il n’en était pas moins pour cela exténué de soif, d’inanition et en proie à la nostalgie.

« Enfin le quarante-sixième jour le ciel parut vouloir mettre un terme à nos trop cruelles souffrances : la brise se fit sentir, et nous aperçûmes à toute vue les voiles d’un navire qui blanchissaient l’horizon. En cet instant toutes les peines furent oubliées, les parents des victimes, dominés par cet instinct puissant de la conservation qui n’abandonne jamais l’homme, essuyèrent leurs larmes,