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se faire inscrire, reconnaître, et surtout pour toucher des avances.

Rien n’est plus original et plus amusant pour un observateur, que d’assister à ce spectacle. Ici, c’est une femme éplorée qui, au milieu des larmes que lui arrache le départ de celui qu’elle aime, trouve moyen de ne pas perdre de vue la somme qu’on lui avance et finit par s’en emparer presque en entier. Plus loin, c’est une épouse acariâtre et franchement rapace que son malheureux mari comble de prévenances inusitées pour tâcher de lui soustraire une partie des piastres qu’il vient de toucher. Presque partout, ce sont des matelots qui essayent de s’expliquer leur compte, et qui, bientôt impatientés de n’y pouvoir parvenir, remettent philosophiquement cet examen à leur premier voyage. Enfin, ce sont des créanciers qui, après avoir profité de la tentation irrésistible que produit toujours le crédit sur le marin, se jettent, oiseaux de proie affamés, sur le prix de ses travaux et de ses dangers futurs. Ici, la lutte prend un caractère d’acharnement féroce réellement curieux : le matelot furieux et le créancier implacable se livrent à des assauts de discours dignes certes des provocations des héros d’Homère. Le dénouement est que le premier finit par être forcé de donner plus qu’il ne demande, et tous les deux se séparent en s’accablant de malédictions réciproques. Six mois après, s’ils se rencontrent, ils tomberont dans les bras l’un de l’autre, et reprendront bientôt leur ancien rôle de débiteur et de créancier, pour se refâcher plus tard encore.

Comment dire à présent les prétentions soit bizarres, soit exagérées que posent certains matelots comme condition dernière de leur embarquement ? Cela nous mènerait trop loin et demanderait au moins un volume. Toutefois,