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— À présent, veux-tu boire un punch avec moi ?

— Dix, si tu le désires.

Les deux capitaines s’assirent alors à la même table, et se mirent à causer comme si de rien n’était.

Cette scène entre les deux plus célèbres corsaires de l’île de France avait produit, on le conçoit, une vive émotion parmi les habitués du café ; mais personne ne se permit d’y faire la moindre allusion pendant tout le reste de la soirée.

Il était près de minuit, et les deux rivaux se donnaient une poignée de main avant de se retirer, lorsqu’un aide de camp du général Malartic vint les prévenir qu’il était chargé par le gouvernement de les conduire, sans les perdre de vue, en sa présence.

La désobéissance était impossible, et tous les deux durent se soumettre. Ils s’acheminèrent donc suivis de l’officier vers le gouvernement. À peine étaient-ils entrés dans le salon, que le vénérable Malartic s’avançant à leur rencontre et les pressant dans ses bras :

— Qu’allez-vous faire, malheureux ! leur dit-il d’une voix émue ; ne comprenez-vous donc pas que, quelle que soit l’issue de la rencontre que vous devez avoir dans quelques heures, et dont je viens d’être par bonheur instruit, ce sera toujours un immense triomphe pour l’Anglais ? Surcouf, et vous, Dutertre, croyez-vous donc que votre existence à chacun ne soit pas préférable pour les intérêts de la France à un vaisseau de haut bord ?

« Certes ! Et vous voulez que l’un de vous deux meure ? Quel est cependant celui de vous deux, qui pour satisfaire sa haine, consentirait à faire perdre à notre marine un vaisseau de haut bord ! Pas un ! Vous voyez que vous êtes des fous, des mauvaises têtes, et qu’il est fort heureux que le hasard amène entre vous deux un vieillard qui