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Quant à Surcouf, il était connu pour avoir plus de chance, grand point pour les marins, que son rival ; mais on savait qu’il aimait à trouver dans la richesse une compensation à la fatigue et aux dangers.

Au total, la sympathie et l’intérêt des frères la Côte agissant sur eux en sens inverse, les deux capitaines rivaux avaient à peu près les mêmes chances de succès pour compléter leurs équipages.

Inutile d’ajouter que Surcouf et Dutertre ne pouvaient se souffrir ; forcés de reconnaître réciproquement leur mérite véritable, ils conservaient aux yeux du monde une attitude convenable vis-à-vis de l’autre, mais en particulier, et dans le cercle de leurs intimes, ils se décriaient amèrement. Au reste, je dois ajouter que le plus violent des deux corsaires était, sans contredit, Dutertre, qui, sans être pourtant le moins du monde cruel, aimait passionnément et par-dessus tout la lutte et les combats ; pas un homme ne se montrait plus terrible que lui dans les abordages.

La chance pour former leurs équipages était donc égale, je le répète, entre les deux capitaines, et chaque état-major des deux corsaires agissait activement pour embaucher le plus de matelots possible, lorsqu’en arrivant un matin chez Surcouf, selon mon habitude, je le trouvai furieux et exaspéré, sacrant et jurant comme un diable.

— Qu’y a-t-il donc de nouveau, capitaine ? lui demandai-je avec empressement.

— Ce qu’il y a donc de nouveau, mille tonnerres ! s’écria-t-i1. Encore une nouvelle infamie de ce damné Dutertre. Cet hypocrite-là vient de faire annoncer et afficher qu’au lieu de manger, selon son habitude, avec son équipage, il aura pendant cette croisière une table de capitaine, et que ce sera son équipage qui mangera avec lui. Pour