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encore deux mois que Garneray voyait couler l’Amphitrite et se noyer notre pauvre ami Maleroux : ça lui a passé du noir dans la tête…

— Bah ! à quoi ça avance-t-il de se miner le tempérament ! s’écria le jeune homme en me tendant la main. Tope-là, mon ami, et ne te fais plus de bile !… Quand on a rempli son devoir, on doit savoir se ficher du guignon !… Tu me plais… parole… Reste à dîner avec moi, je t’égayerai à mort, et demain, après cette biture, tu chanteras comme un rossignol… Va-t’en préparer ton grog, je veux trinquer avec toi à ta chance future.

Le jeune homme après m’avoir parlé ainsi se dirigea vers un nouvel arrivant, tandis que je me rendais au buffet pour arranger mon grog.

Du reste, je dois avouer que j’étais surpris au possible. Quel pouvait être, me demandai-je, ce jeune homme si simplement mis, dont l’air est si fier, si hardi, le regard si hautain et si perçant, qui me promet sa protection, et commence, sans m’avoir jamais vu, par me tutoyer comme si nous étions des amis depuis dix ans ? Quant à Monteaudevert, loin de répondre à mes questions, il semblait prendre un malin plaisir à jouir de mon embarras. Ne pouvant obtenir aucun éclaircissement du capitaine de corsaire, je reportai toute mon attention sur l’inconnu, qui m’intriguait tellement que, profitant de ce qu’il était occupé à causer, je me mis à l’examiner avec une vive attention.

Ce jeune homme pouvait avoir, je l’ai déjà dit, de vingt-quatre à vingt-cinq ans. Quoique d’une taille élevée, environ cinq pieds six pouces, il était replet et de forte corpulence. Cependant on devinait sans peine à la charpente vigoureuse de son corps qu’il devait posséder une force et une agilité musculaires vraiment extraordinaires. Ses yeux, un peu fauves, petits et brillants, se fixaient