Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

L'amiral de Sercey ne trouvant pas sa division de force à se mesurer avec de si formidables jouteurs, nous fûmes chassés pendant toute la journée. J'ignore si la prudence de l'amiral déplut à mon cousin Beaulieu, toujours est-il qu'il sortit, dès le moment où commença la poursuite, de son caractère habituel, et qu'il se montra d'une humeur abominable. La nuit venue, nous éteignîmes tous nos feux; ce qui n'empêcha pas que le lendemain, dès les premiers rayons du jour, nous aperçûmes les deux vaisseaux anglais : ils avaient gagné sur nous. L'action, du moins je l'enten­dais répéter autour de moi par tous les vieux matelots expérimentés de l'équipage, devenait inévitable.

En effet, les frégates, obéissant aux signaux de l'amiral Sercey, ne tardèrent pas à se ranger en ordre de bataille : la Cybèle en tête, la Forte vers le milieu, et la Vertu en serre-file. Cette fois fut pour moi la première où j'assistai à un véritable branle-bas de combat.

Prétendre à présent que je ne ressentis aucune émotion en contemplant ces terribles apprêts, serait mentir à la vérité, ce qui ne m'arrivera pas pendant le cours de ces mémoires, j'en prends l'engagement. Quoique bien décidé à remplir mon devoir, je n'en éprouvais pas moins un violent serrement de cœur. Je suis persuadé cependant que s'il eût alors dépendu de ma volonté d'éviter le combat sans me compromettre aux yeux de personne, je ne l'eusse point fait. Le branle-bas était terminé et chacun se trouvait à son poste, quand un matelot vint m'avertir, ainsi que Kernau, que le capitaine nous demandait.

Je trouvai mon cousin Beaulieu, en entrant dans la dunette, assis sur un pliant et les yeux fixés sur une carte maritime. Son air était grave et son teint plus pâle que d'habitude.