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causa la vue de ses lèvres violettes, de ses yeux de tigre, de son effroyable sang-froid ; pour toute arme, il n’a qu’un large coutelas à la main et un poignard entre les dents, mais ce coutelas, qui dégoutte de sang, a dû être fatal à bien des Anglais ! Cet homme pense à sa magnifique part de prise. Malheur à l’ennemi qui se trouve sur son passage.

Au reste, au dire des frères la Côte, dont se compose notre équipage, et qui tous ont déjà bravé tant de dangers, jamais un abordage n’a présenté un caractère de férocité, d’acharnement et de fureur semblable à notre lutte avec le Trinquemaley !

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner qu’après quelques minutes de cette gigantesque boucherie, l’équipage de la corvette soit culbuté, débusqué de tout point et refoulé jusqu’au gaillard d’arrière ! Une fois acculés dans cet étroit espace, les Anglais, ne pouvant plus résister, se précipitent, pour éviter la mort qui les menace, les uns à la mer, les autres dans la batterie, et nous laissent maîtres enfin de leur pont couvert de sang et de cadavres.

Notre second, Duverger, veut, implacable et sans pitié, que l’on égorge les Anglais entassés sur le gaillard d’arrière ; Maleroux s’oppose à cet acte de cruauté et, ne doutant plus de la victoire, les laisse se réfugier dans la batterie.

— Vous avez tort, capitaine, lui répond froidement le Normand, quand on porte avec soi des richesses pareilles à celles qui sont entassées à bord de l’Amphitrite, on ne saurait jamais prendre trop de précautions pour les conserver.

Cet affreux conseil, qu’une cupidité effrénée pouvait seule donner, était cependant, comme nous l’apprîmes bientôt à nos dépens, bon à suivre.

En effet, au moment où nous nous y attendons le moins, les Anglais réfugiés dans la batterie nous envoient des