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Maleroux n’acheva pas sa phrase ; mais le regard désespéré qu’il jeta sur l’abîme de l’Océan la compléta aussi clairement que s’il l’eût prononcée. Nos ennemis, malgré l’obscurité qui les enveloppait, continuaient leur tir avec une grande précision : vers minuit, le grand mât de hune de la corvette se rompit, tomba sur son avant et masqua encore une fois sa batterie.

Maleroux voulant profiter de cette avarie pour faire vent arrière et abandonner le champ de bataille, on brassa immédiatement en ralingue les voiles de l’arrière, on mit en action les avirons ; mais l’absence de toutes voiles d’avant occasionnée par la chute de notre mât de misaine, rendit l’abattée impossible, et l’Amphitrite, malgré tous nos efforts, n’en continua pas moins de présenter son travers au vent et à l’ennemi.

De son côté, le Trinquemaley, ayant perdu ses mâts de l’arrière, cherche en vain à prêter le côté au vent pour pouvoir nous canonner ; bientôt il est emporté en dérive, et abattant, malgré lui, vent arrière sur nous, il nous aborde de long en long.

Quant à nous, qui ne voyons notre salut que dans l’anéantissement complet de notre ennemi, nous saluons par des cris frénétiques de joie cet événement imprévu et heureux qui nous permet enfin d’en venir à l’arme blanche.

Sous le feu qui, loin de se ralentir, augmente plutôt de vivacité, les restes des vergues mutilées des deux navires se joignent et s’enlacent ; les flancs de l’Amphitrite et du Trinquemaley, bord à bord, tremblent et semblent au moment de s’ouvrir sous la commotion violente des bordées qu’ils déchargent à bout portant.

Les grenades pleuvent sur notre pont, notre artillerie, refoulée du dehors en dedans par le choc de la formidable préceinte de la corvette, recule à longueur de bragues ;