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De Palma, nous fîmes route pour le cap de Bonne-Espé­rance, que nous relevâmes très au large. Ce fut alors que l’amiral de Sercey ouvrit, conformément à ses instructions, le pli ministériel qui devait lui indiquer la destination de la division. Cette destination, comme chacun s’y attendait, était l’Inde.

Kernau, dans la joie de son âme, fut le premier à m’an­noncer cette bonne nouvelle ; il se sentait si heureux qu’il ne pouvait s’empêcher, tout en accomplissant son service, de battre sur le pont de prodigieux entrechats. Il étouffait de bonheur. À partir de ce moment, Kernau, quoique attaché comme moi à la timonerie, et par conséquent dis­pensé en partie des manœuvres, se montrait l’homme le plus zélé du bord. Il lui semblait, dans son impatience fébrile, qu’il aidait à la marche de la frégate.

Au reste, puisque l’occasion se présente ici de parler de mon brave matelot, je dois constater, pour obéir à la jus­tice, qu’il remplissait avec une conscience et une intelligence parfaites la mission de m’instruire que lui avait confiée mon cousin : je dois même ajouter qu’il outrepassait parfois son rôle.

— Vois-tu, matelot, me disait-il en m’entraînant exécuter une manœuvre qui ne nous regardait ni l’un ni l’autre, pour devenir ce qu’on appelle un marin faut mettre la main à toutes les sauces. Si tu ne fais que ce que le devoir t’ordonne, tu n’apprendras jamais rien sur un navire de guerre. Tu resteras dix ans calfat, dix ans timonier, dix ans gabier, dix ans je ne sais plus quoi, coq ou cuisinier, peut-être, et dans quarante ans tu ne seras pas un matelot. Trémousse-toi ferme, mon vieux, on ne sait pas ce qui peut arriver… Qui est-ce qui te dit que nous ne nous trouverons pas bientôt, toi et moi, foulant un pont de navire qui ne sera plus un navire de