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pas la joie que lui causa ce présent, car cette joie se témoigna d’une façon tellement extravagante et excita en lui de tels transports que les lecteurs européens ne pourraient y croire. Il est pour incontestable que pour une bouteille d’arack un Oreste malgache assassinerait son Pylade ! Le lendemain matin, au point du jour, nous nous remîmes en route ; mais, hélas ! nous n’avions plus cette fois une délicieuse lagune et une excellente pirogue ! Le reste de notre voyage devait se faire à pied, à travers les obstacles presque insurmontables et toujours douloureux d’une végétation inextricable, et sous les rayons de lave que versait sur nos têtes un soleil meurtrier.

Notre chaussure était trop dure pour se plier aux exigences d’un terrain fangeux et mobile, nous dûmes nous en dépouiller et continuer notre route à pieds nus. Que de fois en traversant des marais à moitié desséchés et recouverts de gigantesques roseaux tellement serrés les uns contre les autres qu’ils nous dérobaient la vue du sol, combien de fois, dis-je, ne me rejetai-je pas en arrière avec terreur, en sentant mon pied sans défense glisser sur un corps froid et visqueux, celui d’un serpent ou d’un caïman sans doute… Une seule chose me rassurait quant à la voracité de ces monstres, c’est qu’ils préfèrent, dit-on, la chair des hommes de couleur à celle des blancs. Toutefois, me trouvant exposé ainsi à leurs atteintes, je n’ajoutai que peu de foi à cette croyance, que j’avais jusqu’alors acceptée en théorie.

Une expérience que nous fûmes à même de faire à nos dépens, hélas ! mes deux matelots et moi, fut celle que les moustiques préféraient de beaucoup notre peau tendre et blanche, relativement parlant, au cuir bronzé et coriace des Africains. Notre corps, tamisé par les dards imperceptibles