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de la lagune, nous fit tressaillir.

— Voici les caïmans qui viennent pour obéir à notre souveraine, murmura Carvalho à mon oreille.

Mon cœur battit avec violence.

À peine ce cri ou ce vagissement s’était-il fait entendre, que le murmure produit par la population rassemblée sur la rive cessa aussitôt et fit place à un silence solennel.

Cinq à six minutes s’écoulèrent ainsi ; puis tout à coup un clapotement assez fort, comme si un combat se fût livré au milieu de la lagune, se fit entendre, et quelques secondes plus tard la lumière tomba dans l’eau et s’éteignit en sifflant. Le condamné venait d’être saisi par un ou plusieurs caïmans. Un frisson me passa par le corps, et je fus obligé de me rappeler et ma position actuelle, et la mission que l’on m’avait confiée et qui me restait à remplir pour ne pas m’emporter imprudemment contre la reine de Bombetoc.

— Voilà qui est fait, me dit alors tranquillement l’interprète Carvalho en se frottant joyeusement les mains. À présent, nous pouvons continuer notre chemin.

En effet, nos rameurs, sans attendre nos ordres, firent voler de nouveau notre légère pirogue sur la surface paisible et argentée de la lagune.

Lorsque nous rangeâmes de près, quelques secondes plus tard, la pointe du cap sablonneux, j’aperçus, à la clarté douteuse de la lune, alors dans son premier quartier, le poteau où l’on avait attaché la victime. Quelques liens coupés par les dents tranchantes des caïmans pendaient encore gonflés de sang dans les eaux rougies de la lagune !

Quant à la population rassemblée sur la rive, il me serait impossible de trouver un mot qui pût rendre la clameur