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— Comment cela, l’arrivée des caïmans ? répétai-je avec terreur. L’homme sur la tête de qui repose cette lugubre lumière est-il donc destiné à devenir la proie de ces monstres ?

— Justement. Vous l’avez deviné. Cet homme, attaché solidement à un pieu enfoncé dans la lagune, afin qu’il ne puisse faire le moindre mouvement, et bâillonné avec soin pour que ses cris n’effrayent pas ses voraces bourreaux, sera dévoré tout à l’heure…

Cette explication, je l’avoue, me causa une émotion indicible. François Poiré et Bernard étaient aussi agités que je pouvais l’être moi-même.

— Sacrebleu ! lieutenant, me dit Bernard, ce n’est pas au moins que je m’intéresse au moricaud que l’on sert ainsi frais à point aux caïmans… Non, ça m’est tout à fait égal… Mais pourtant, je voudrais bien le délivrer !… Ah ! si nous étions seulement ici avec la moitié de l’équipage…

Bernard allait probablement m’expliquer de quelle façon nous aurions pu, dans ce cas, venir au secours du condamné, lorsque l’interprète le pria, fort respectueusement il est vrai, mais d’une façon qui n’admettait cependant pas de réplique, de baisser le diapason de sa voix, en l’avertissant que ceux qui mettaient obstacle à la prompte exécution de la justice de la reine de Bombetoc s’exposaient à subir le même supplice que celui qu’ils retardaient.

— Ah ! les gredins, lieutenant, murmura le matelot furieux à mes oreilles, si nous n’étions pas que trois hommes seulement !…

Bernard, après cette dernière exclamation, garda prudemment le silence. Tous nos regards étaient tournés avec anxiété vers la sinistre clarté destinée à attirer les caïmans, lorsqu’une espèce de vagissement plaintif, qui semblait sortir du fond