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une horreur profonde ; aussi chaque fois que le hasard m’a mis à même de leur faire la guerre, me suis-je toujours empressé de profiter de ces bonnes occasions.

En apercevant le monstre flottant sur la lagune à quelques brasses de notre pirogue, je me hâtai donc de saisir mon fusil et de le mettre en joue. Le matelot Bernard, assis à mes côtés, suivit mon exemple. François Poiré dormait.

Nous levions déjà, Bernard et moi, notre arme, lorsque le Portugais Carvalho, poussant un cri aigu et plein de terreur, releva vivement les canons de nos fusils.

— Ne tirez pas, seigneuries, s’écria-t-il avec effroi, ne tirez pas, ou je ne réponds plus de vous… Voyez vos rameurs !…

Les piroguiers, immobiles sur leurs avirons, nous regardaient, Bernard et moi, avec des yeux où l’étonnement le plus profond s’unissait à la fureur la plus inexplicable.

— Eh bien ! qu’est-ce qu’ils ont donc, ces moricauds, lieutenant ? me dit le matelot Bernard.

— Ils ont, seigneurie, se hâta de répondre le Portugais, ils ont de la religion, et ils ne consentiront jamais à laisser tuer un de leurs dieux !

— Comment cela, un de leurs dieux ! est-ce que les Malgaches adorent les caïmans ? demandai-je.

— Certes, seigneurie ! Est-ce que le caïman n’est pas un animal méchant et dangereux ? Oui ; eh bien, alors on l’adore !

— Drôle de conclusion ! Quoi ! les Malgaches adorent ce qui leur est nuisible et dangereux ?

— Et n’ont-ils pas raison, seigneurie ? Chez nous il y a deux dieux : le génie du mal et celui du bien ; le premier se nomme Angatch, le second Zanhar…