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été assez heureux de pouvoir lui prodiguer, il ne se passait guère une journée sans qu’il me fît venir. Il s’intéressait à mes progrès dans le dessin avec une sollicitude toute paternelle qui stimulait mon ardeur et me faisait redoubler d’efforts. Au reste, ce fut seulement dans cette espèce de demi-intimité, relativement à nos âges et à nos grades, que je pus apprécier tout ce qu’il y avait en lui de grandeur d’âme et de sublime simplicité. Je me rappelle encore une conversation que nous eûmes un jour. Il s’agissait de l’état de sa santé si sensiblement altérée par le sinistre événement dont il avait été la victime. — Combien l’homme est insensé dans son orgueil ! Dit-il. Lorsque son sang circule librement dans ses veines, qu’il sent de la vigueur dans sa poitrine, de l’élasticité dans ses nerfs, il se vante, il défie le hasard, le monde entier lui appartient ; il se croit invincible ; mais qu’un esclave idiot verse quelques gouttes de suc d’une plante nuisible dans la coupe de cet homme, que la maladie le touche du bout de son aile, qu’une fièvre, même ordinaire, s’asseye à son chevet, et le voilà qui tremble et qui divague ; l’action la plus simple à accomplir devient pour lui un obstacle qu’il n’ose essayer de franchir ; il ne croit plus à rien, il a peur de tout. Moi qui vous parle, n’ai-je pas un instant, à bord de la Preneuse, lorsque la fièvre me minait, jeté la raillerie sur mon chef, sur l’amiral Sercey ! Et pourtant ce marin compte de beaux combats ! Ah ! quelle triste chose que l’homme ! En quelle pitié la foule prendrait souvent tous ces héros qui lui imposent et qu’elle admire, si elle pouvait descendre au fond de leur cœur !