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Alors se passa une scène navrante, et que je n’oublierai jamais.

L’Hermite, phénomène inexplicable de ce mystérieux fluide sympathique que l’on ne connaîtra jamais, au moment même où l’infortuné Graffin s’affaisse près de lui, ouvre les yeux en l’appelant par son nom : il était privé de connaissance lorsque le fatal biscaïen a frappé l’enseigne, et il sait que l’enseigne est blessé !

— Me voici, capitaine, près de vous, répond l’héroïque jeune homme en essayant d’affermir sa voix. Ce n’est rien… ne faites pas attention… une politesse des Anglais, qui, sachant l’horreur qu’ils m’inspirent, me dispensent d’une visite chez eux…

M. Graffin, qui a prononcé ces mots avec effort, tout en essayant de sourire, s’arrête épuisé.

— Pauvre ami ! dit l’Hermite, qui attire par un mouvement paternel la tête du malheureux contre sa poitrine.

Dès ce moment le capitaine est vaincu ; l’homme bon et excellent jusqu’à l’abnégation a triomphé de lui : l’Hermite pleure comme un enfant.

— Ce n’est rien, commandant, répète Graffin, qui s’oublie pour consoler l’Hermite : une égratignure… j’en guérirai… et je prendrai ma revanche… sous vos ordres… La voix du pauvre blessé devient de plus en plus faible : cependant il parvient à dominer sa faiblesse et reprend bientôt, en s’arrêtant péniblement à chaque parole qu’il prononce :

— Au fait, capitaine, à quoi bon vouloir vous tromper ? ma blessure est trop indiscrète pour pouvoir être dissimulée. Oui, je vais mourir… c’est vrai… J’ai une grâce à solliciter de vous… ne me refusez pas… Laissez-moi poursuivre sans m’interrompre… Je voudrais… être enseveli dans les couleurs nationales… là, à cette même