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yeux ; tellement triste même, que je ne songe plus à la pluie de mitraille qui tombe à l’entour de nous !

L’Hermite gît étendu du côté de terre entre le banc de quart et le tillac. L’enseigne Graffin, agenouillé près de lui, soutient sa tête. De temps en temps le noble jeune homme secoue par un brusque mouvement du colles larmes qui obscurcissent sa vue, et qu’il ne songe pas, tant son désespoir est grand, à cacher ; puis il fixe alors d’un œil ardent les vaisseaux ennemis, dont on n’aperçoit, à travers un épais rideau de fumée, que les sommets des mâts, et une expression de rage indicible dilate ses narines, relève sa lèvre supérieure et plisse son front.

Oh ! s’il lui était donné de monter à l’abordage, personne ne lui résisterait ; ce serait un lion déchaîné au milieu d’un troupeau. Mais, non, il lui faut, dans son impuissance, ajouter à son désespoir la cruelle souffrance que lui cause la pensée de cette impuissance ! Enfin, n’y tenant plus, il appuie doucement contre le banc de quart la tête de l’Hermite, jette vivement son uniforme sur le pont, et se dirige vers le côté de bâbord.

— Où allez-vous, Graffin ? lui demande M. Dalbarade.

— Je m’en vais chercher à la nage une autre embarcation pour remplacer la yole coulée, répond-il.

— C’est une idée. Allez !

À peine M. Graffin a-t-il fait deux pas, qu’il s’arrête subitement en portant vivement la main sur son cœur.

— Vous êtes blessé, lui crie M. Raoul.

— Oh ! ce n’est rien, répond-il en voulant continuer sa route.

Mais ses forces trahissent sa volonté, il recule et tombe à côté de l’Hermite. Un flot de sang coule à gros bouillons de sa poitrine, qui a été frappée en plein par un biscaïen.