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— Que diable me chantes-tu là ? s’écria Kernau. Ah ! oui, j’y suis… Tu peux parler de ces faillis chiens, de fameux gaillards, tout de même, qui s’étaient établis à l’île de la Tortuga, près de Santo-Domingo… Que t’es bête, va, matelot ! Est-ce que tu ne sais pas, toi qui es éduqué, que ces flibustiers-là n’existent plus depuis des tas d’années ? .. Je vais t’apprendre, moi, ce qu’on appelle aujourd’hui un frère la Côte.

— Je t’écoute avec la plus vive attention.

— Tant mieux pour toi. Les frères la Côte, vois-tu, c’est une association comme qui dirait quasiment de francs-maçons, qui existe dans l’Inde. Anciennement, pour être reçu frère la Côte, il fallait justifier par preuves authentiques qu’on avait couché pendant sept années suivies dans les raquettes ou semelles du pape ; aujourd’hui, pour être initié, faut seulement avoir navigué pendant trois ans dans les parages de l’Inde. Une fois frère la Côte, dame, que te dirai-je, on est classé dans le grand monde. Les corsaires vous font des avantages bien supérieurs à ceux qu’ils offrent aux garçons la Côte, des rien du tout auprès de nous… On nous recherche, on nous estime, on nous flatte, on nous craint. Les mulâtresses et les créoles courent après nous. Enfin, quoi ! notre vie est un vrai triomphe.

— Pardon, matelot, de t’interrompre : qu’entends-tu par garçons la Côte ?

— On nomme ainsi les marins qui naviguent habituellement à l’Amérique… des pas grand-chose ! … Pour en revenir à nous, une fois reçus frères la Côte, ça nous stimule, et si nous n’étions auparavant que braves, nous