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Un moment de confusion et de stupeur inexprimables s’ensuit ; nos hommes échappent avec beaucoup de peine à l’eau qui envahit leurs postes, et se réfugient sur le côté de bâbord ou sur la carène ; nos batteries sont submergées ; nos ponts sont mis à découvert. L’Anglais n’en continue pas moins son feu.

Après ce malheur sans remède, que ni l’intégrité ni le génie ne peuvent surmonter, toute résistance nous est devenue impossible : il ne nous reste plus, comme aux gladiateurs romains, qu’à mourir avec dignité.

— Eh bien ! Garneray, me dit en ce moment d’une voix navrante l’enseigne Graffin, qui comme moi s’est mis à l’abri de la mer sur le flanc de bâbord, voilà donc notre pauvre Preneuse à tout jamais perdue ! Ah ! c’est comme si j’assistais à la mort de ma mère ! Bonne frégate ! Depuis sa mise à l’eau, je ne l’ai pas quittée d’un jour… Elle va donc tomber entre les mains des Anglais ? Oh ! non, c’est impossible… L’Hermite est vivant, l’Hermite nous commande, nous ne nous rendrons pas !…

Cependant, comme si notre intrépide et malheureux capitaine ne voulait pas laisser plus longtemps une lueur d’espérance à M. Graffin, celui-ci n’avait pas achevé de manifester son espoir, que l’Hermite envoyait à terre les débris mutilés ou sanglants de son vaillant équipage.

— Abandonner la frégate ! s’écrie alors M. Graffin en s’élançant sur le pont, jamais ! capitaine… jamais !…

— Monsieur Graffin, lui répond l’Hermite d’une voix sévère, quand je dis : Je veux, il n’y a plus qu’à se taire et à obéir.

— Oui, c’est vrai… c’est juste, capitaine… Mais enfin que va devenir notre pauvre Preneuse ?

La Preneuse, monsieur, ne craignez rien, ne tombera pas au pouvoir de l’Anglais.