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L’Hermite se tient presque constamment dans les porte-haubans de tribord, pour surveiller l’état des appuis qui soutiennent la frégate : plusieurs, que l’on ne peut remplacer, sont, hélas ! brisés par les boulets anglais ; mais notre capitaine cache, sous l’air de la plus profonde indifférence, cette découverte qui le désole, et que nous n’apprendrons que plus tard.

Une seule fois j’ai un soupçon de ce qui se passe en surprenant un regard qu’échangent entre eux l’Hermite et Dalbarade ; ce regard, quelque rapide qu’il soit, est si plein d’anxiété et d’angoisse, qu’il vaut à lui seul une longue explication. Au reste, nos marins, ignorants de ce qui se passe en dehors du bord, continuent leur feu avec un redoublement d’énergie qui ne se comprend pas et qui soulève les applaudissements frénétiques de la population couvrant le pourtour de la baie et assistant, remplie d’admiration et d’émotion, au sublime spectacle de ce combat.

La voix de l’Hermite, qui, je l’ai déjà dit lors de l’affaire avec le Jupiter, tranche par sa netteté sur le bruit du canon, ne cesse de retentir ; elle encourage l’équipage et lui promet la victoire ! Hélas ! n’est-ce pas encore là peut-être un généreux mensonge ?

Quant à moi, quoique cette voix m’électrise, ce n’est pas elle qui préoccupe le plus mon attention : ce sont les yeux de l’Hermite ! Depuis que j’ai surpris entre M. Dalbarade et lui ce muet échange de désespoir, une crainte vague, quoique poignante, s’est emparée de moi ; je m’attends à chaque instant à une affreuse catastrophe. Hélas ! l’événement ne tarde pas à donner raison à mes prévisions. Un immense cri de désespoir et de douleur retentit sur la frégate : plus d’espoir ; nous sommes perdus ! la Preneuse, privée de ses appuis, tombe tout d’un coup sur son flanc de tribord en refoulant à grands sillons la mer au loin !