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que ton parent, et si ça peut vous être agréable, nous allons vider une bouteille de vin à sa santé. Que penses-tu de ma proposition ? Cela vous va-t-il ?

Tant que dura notre bouteille, ce qui ne fut pas long­temps, Kernau, gêné par l’idée qu’il se trouvait en tête à tête avec le parent de son capitaine, un jeune homme éduqué, entremêla de tu et de vous à peu près égaux son pittoresque langage ; mais une fois qu’une seconde bouteille eut remplacé la première, il prit bravement son parti et sortit de sa fausse position avec autant de franchise que d’énergie.

— Sacré nom ! ça m’embête à la fin, s’écria-t-il en accom­pagnant cet aveu d’un vigoureux coup de poing sur la table ; ça zizimasse, ces belles manières… Vois-tu, petit, tu es mon matelot ou tu ne l’es pas… Tu comprends : si tu l’es, tu l’es ; si tu ne l’es pas, tu ne l’es pas… C’est clair, ça… Pas vrai ! Donc suffit… Quand je te dis tu… c’est que tu me vas… Ça te va-t-il ?

— Oui, matelot, comme tu voudras.

— Tope là ! ouf ! ces satanés vous m’étranglaient comme une cravate de marié… À présent, me voilà à l’aise, et tout prêt à courir autant de bordées dans la conversation que tu voudras… C’est pas pour me flatter, mais je suis connu pour savoir manœuvrer un peu proprement la parole. Tel que tu me vois, matelot, je suis un frère la Côte.

— Toi ! un frère la Côte ! répétai-je avec étonnement.

— Mais, un peu, je m’en vante, me répondit-il en balançant sa tête d’un air glorieux et important.

— Quoi ! repris-je, tu as fait partie de ces fameux flibus­tiers établis dans le grand Océan américain, et qui ont si souvent, par leurs exploits fabuleux, épouvanté les Espa­gnols pendant leur puissance ! …