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côté ou de l’autre. L’attention de l’Hermite est partagée entre les soins du navire et les mouvements de l’ennemi, qui, favorisé par le souffle mourant du S.-E., s’approche de nous. Cependant la distance qui le sépare de nous est trop considérable pour que nous ayons à redouter ses attaques avant quelques heures ; oui, mais la marée monte, mais le flot nous drosse vers le rivage : qu’allons-nous devenir ?

Un dernier sujet de crainte préoccupe surtout l’équipage : l’Hermite, les yeux brillants et abattus tout à la fois, le teint décoloré, les traits altérés, est évidemment sous le coup d’une grave maladie ou du moins d’un violent malaise ; comment sortirons-nous de notre position critique sans le secours de son génie ? Tous les yeux suivent et épient avec anxiété ses moindres mouvements. On devine le combat intérieur que livre en lui la nature au sentiment de la gloire ! Plusieurs fois il est obligé de s’appuyer contre les bastingages, mais chaque fois il se redresse de toute la force de sa sublime énergie. Quant à moi, j’ai confiance ; je me dis que tant que l’ennemi sera en face de nous, l’Hermite l’emportera sur la fièvre qui le consume ! Ah ! si nous n’avions pas besoin de lui, si nous ne nous trouvions pas en danger, je suis certain que la maladie le tiendrait déjà terrassé sur son lit de souffrance.

Depuis dix minutes la Preneuse était dans une inaction complète, lorsque, par un effet prévu, au reste, mais sur lequel nous n’osions plus compter, tant nous désespérions de notre chance, le calme gagnant le large vint suspendre aussi la marche de nos ennemis. Cet événement est célébré par nous comme un triomphe ; car désormais, de quelque côté que souffle la brise, les Anglais ne pourront plus nous empêcher de nous mettre sous la protection des batteries de la côte. Seulement si le calme continue,