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XVI

Vers midi, on acquit la triste certitude que les deux vaisseaux qui nous chassaient avaient sur nous l’avantage d’une marche supérieure. La Preneuse approchait le Coin de Mire, situé à égale distance entre le Grand-Port et le Port Maurice.

— Monsieur Dalbarade, dit le capitaine à son lieutenant en pied, faites gouverner entre le Coin de Mire et la côte, afin que nous puissions entrer dans le chenal ; cela raccourcira pour nous le chemin du port, tout en nous éloignant de l’ennemi. Je sais que le chenal est peu fréquenté par les vaisseaux de haut bord ; toutefois, l’on n’y connaît pas d’écueil… Notre position nous commande impérieusement d’en tenter le passage.

Cette manœuvre était en effet hardie ; mais comme avec l’Hermite, moins qu’avec tout autre capitaine encore, on obéissait et on ne discutait pas, on l’exécuta à l’instant.

Chaque homme gagne sa place de service et deux officiers se mettent en vigie sur les bouts des basses vergues. Un grand silence règne à bord : on jette les plombs de sonde des deux côtés du navire, et le chant monotone des sondeurs est le seul bruit qui retentisse sur la Preneuse.

Bientôt l’équipage se dédommage de son silence en poussant un cri de joie. La frégate vient de franchir la passe sans le moindre incident : nous avons gagné une lieue sur l’ennemi ! Que Dieu nous accorde encore deux heures de vent de S.-E., et nulle puissance humaine ne pourra plus nous empêcher de jeter l’ancre au mouillage à bout de bordée.