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le vent dans l’intention de nous couper le chemin.

— Quoi ! s’écrie l’Hermite, auriez-vous donc peur, enfants, des Anglais ! Ils sont plus forts que nous, pensez-vous ; eh ! mon Dieu, tant mieux ! Nous aurons moins le regret de fuir devant eux si nous parvenons à leur échapper, et plus de gloire à acquérir si le combat devient inévitable.

— Changeons-nous de route, capitaine ? demanda M. Dalbarade.

— Non, monsieur ; car à la faveur du vent du S.-E., en ce moment bien établi, nous pouvons espérer d’échapper à ces vaisseaux en nous réfugiant sous le canon des forts du Port. Mais quoi ! continue l’Hermite avec amertume en s’adressant aux officiers, il existe, probablement depuis quelque temps déjà, une croisière anglaise établie en vue de la colonie, et l’on ne nous a pas avisés de sa présence par des signaux de nuit ! Cela est un fait aussi honteux qu’incroyable ! un fait qui, je l’avoue, jette des doutes dans mon esprit et justifie cette rumeur publique, à laquelle j’aurais rougi d’ajouter foi jusqu’à ce jour, que l’espionnage anglais enveloppe en entier d’un vaste réseau l’île de France.

L’Hermite, humilié en songeant à une trahison française, abaisse tristement son regard et garde le silence. Je ne sais si je me trompais, mais il me sembla que, pour la première fois depuis que je le connaissais, je le voyais abattu et découragé devant le danger. Qui sait s’il n’éprouvait pas un de ces navrants et prophétiques pressentiments auxquels sont surtout sujets les hommes d’élite !