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En huit jours (pendant lesquels je n’eus plus soif), mes dessins furent terminés ; je demanderai la permission de ne pas parler des éloges qu’ils me valurent. L’Hermite, touché de cette attention délicate, en remercia vivement ses officiers et m’invita à sa table.

Plus de vingt ans après, le capitaine l’Hermite, devenu baron et vice-amiral, rappelait, en riant, ce dîner au peintre Garneray, son ancien matelot et alors son ami.

Le 10 décembre fut un bien beau jour pour nous. Un peu avant la tombée de la nuit, nous vîmes éclore à l’horizon, entre nous et le soleil couchant, la silhouette bleuâtre de notre terre promise ! Je ne puis dire les transports joyeux que cette vue excita parmi l’équipage : ils tenaient de la folie ! Un matelot en perdit, littéralement parlant, la raison.

Une fois la situation de la frégate bien reconnue, on orienta la voilure de manière à pouvoir entrer au Grand Port[1] le lendemain matin, si par hasard la colonie se trouvait bloquée.

La navigation de cette nuit fut douce et paisible ; les regards des hommes de garde se portaient avec autant d’anxiété que de vigilance vers la terre, afin de bien s’assurer qu’aucun signal, nous annonçant un danger, ne nous était fait. Au sommet des mornes, l’on ne voyait briller que des feux isolés et tremblants : ceux des habitations des colons et des planteurs.

Le 11, au point du jour, et je crois que peu de matelots avaient dormi la nuit qui venait de s’écouler, la

  1. Ce port est situé au vent de l’île. Il est impossible à un croiseur d’empêcher un navire d’y pénétrer, s’il se trouve à son entrée à la naissance du jour, et qu’il n’ait pas chassé d’avance.