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les malades, guéris ; ceux qui ne sont pas atteints du scorbut ou de la gangrène ne songent plus qu’une longue traversée nous reste à faire, qu’ils peuvent encore devenir les victimes de ces deux affreux fléaux ; non, ils rêvent déjà aux joies de l’arrivée et pensent à toutes les jouissances que va leur procurer l’île de France. Cependant il en est bien plus d’un parmi eux dont les pieds ne doivent plus jamais fouler la terre ! Nos désastres passés sont loin d’avoir désarmé la fatalité qui nous poursuit ; ce qui nous est réservé est bien pis, hélas ! que ce que nous avons déjà souffert !

Notre retour à l’île de France fut long et pénible : une chaleur étouffante et des calmes plats et presque continuels, le seul ennemi que nous n’eussions pas encore éprouvé pendant cette malheureuse croisière, allongèrent beaucoup la traversée. Par surcroît de malheur, les rats de la cale ayant percé un assez grand nombre de pièces d’eau, il fallut se résigner à subir l’affreux supplice de la soif, supplice rendu plus intolérable encore par les rayons de lave que le soleil versait sur nous.

J’étais un jour, accablé par cette température de fournaise, sur le point de m’endormir dans un coin du pont, lorsque l’enseigne Graffin vint me trouver.

— Garneray, me dit-il en souriant (M. Graffin souriait toujours), descendez dans ma cabine, j’ai à vous parler en particulier.

Je me hâtai d’obéir, assez intrigué de savoir quelle communication cet officier pouvait avoir à me faire.

— Garneray, me dit-il lorsque nous fûmes seuls, les officiers ont décidé que vous exécuterez, en secret, pour être offerts au capitaine, nos combats de la baie de Lagoa et du Jupiter : vous sentez-vous de force à nous dessiner