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vous de moi… et ne me parlez plus jamais… C’est tout ce que je vous demande.

Ces paroles, qui eussent été grossières sans le ton d’accablement et de désolation avec lequel elles furent prononcées, firent une vive impression sur l’Hermite.

— Et pourquoi désirez-vous que je ne vous parle plus jamais, mon ami ? demanda-t-il au mourant.

— Parce que… j’ai peut-être tort de vous avouer cela, capitaine… mais je souffre tant, oh ! je souffre tant, que vous m’excuserez… parce que, en songeant que de votre volonté seule dépend notre retour à l’île de France, un mot de vous nous rendrait le bonheur et la santé. Eh bien, votre vue me fait mal… Oh ! pardon, je ne voudrais ni vous offenser ni vous causer la moindre peine… mais, c’est vrai, votre vue me fait mal…

À cette réponse du contremaître, l’Hermite leva les yeux au ciel, et, abandonnant le gaillard d’arrière, s’en fut, sans prononcer une parole, s’enfermer dans sa chambre.

Le lendemain, vers midi, l’Hermite retourna voir le malheureux contremaître.

— Mon ami, lui dit-il, vous êtes trop faible en ce moment pour que je puisse imputer à mal votre langage d’hier. Ayez du courage. Dans quelques minutes d’ici, votre sort va se décider. Si mes lettres d’expédition, dont je ne puis prendre connaissance qu’aujourd’hui, 30 octobre, à midi, me permettent de retourner à l’île de France, j’en serai plus heureux que vous-même… Car, si vous souffrez chacun pour votre seul compte, moi je souffre pour vous tous… Si mes instructions veulent que nous continuions à croiser ! eh bien ! nous croiserons… Le devoir avant tout !

Ces paroles de notre capitaine, qui se répandirent aussitôt