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Les malheureux atteints de ce terrible mal, pâles comme des cadavres, maigres comme des squelettes, et brisés par la douleur, attendaient avec impatience, mais sans avoir souvent la force de se plaindre, l’heure solennelle de la délivrance et de l’éternité ! Ceux à qui une constitution robuste ou un moral énergique laissait la vigueur de la pensée s’occupaient à calculer froidement le temps qui leur restait encore à vivre. La façon dont ils opéraient ce calcul était certes plus infaillible que n’eût pu l’être le diagnostic du plus habile médecin ; ils marquaient chaque soir, au moyen d’une ficelle, les progrès de l’envahissement du fléau ; et édifiés ainsi sur sa rapidité, ils pouvaient prédire, à quelques heures près, le moment où le gonflement, atteignant le cœur, devait les étouffer.

Un matin, le capitaine, en allant prodiguer ses consolations aux malades, trouva étendu sur le gaillard d’arrière un contremaître, jeune homme de tête et de cœur, qu’il affectionnait particulièrement, et qu’il destinait dans sa pensée, disait-on, à devenir plus tard officier. L’infortuné, atteint depuis plus d’une semaine du scorbut, était alors dans un horrible état. L’Hermite lui adressa d’une voix émue quelques paroles de consolation.

— Merci, capitaine, pour vos bontés, lui répondit l’infortuné. Mais l’espoir ne m’est plus permis, l’enflure est arrivée jusqu’aux hanches. Je n’ai plus heureusement pour longtemps à souffrir.

— Bah ! mon ami, il ne faut pas se laisser abattre ainsi !… Voyons, réfléchissez, que puis-je faire pour vous ?

— Rien, capitaine… rien…

Et comme l’Hermite insistait :

— Eh bien ! capitaine, lui répondit le jeune contremaître, puisque vous tenez absolument à m’être agréable… éloignez-