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bienveillantes et volontaires que vous avez bien voulu nous donner et de la confiance que vous êtes assez bon pour nous témoigner. Quant à moi personnellement, et je suppose que ces messieurs partagent à présent mon opinion, je trouve que l’honneur et le devoir vous commandent impérieusement de continuer cette croisière…

— Oui, capitaine, répétèrent les officiers en chœur et à l’unanimité, il faut continuer notre croisière.

— Dame, après tout, nous en serons quittes pour nous amuser un peu plus une fois à terre, dit M. Rivière, le seul qui eût conservé toute sa bonne humeur, car, enfin, les instructions du capitaine doivent porter une date… et il faudra bien, tôt ou tard, que cette date arrive… Et vive la gaieté !… Ça n’avance à rien de s’affecter le moral…

Néanmoins, à partir de ce moment, l’équipage n’ayant plus aucun aliment à donner à son imagination, et ne s’attendant plus à chaque instant à faire route pour l’île de France, se laissa aller à une sombre tristesse ; le scorbut augmentait chaque jour de violence.

Je me rappelle encore, avec un serrement de cœur, le lugubre et navrant spectacle que présentait chaque matin le pont de la frégate.

Un peu après le lever du soleil, quand le soleil se montrait, on y transportait les malades pour leur faire respirer l’air : c’était hideux à voir.

La plupart des gens attaqués du scorbut avaient le bas de la figure horriblement gonflé ! Leurs lèvres béantes, flétries par une salivation continuelle, laissaient percevoir des gencives noires, tuméfiées, des dents longues et tremblantes ! Leurs corps, gonflés à partir des extrémités, étaient ordinairement marbrés, surtout dans la dernière période de la maladie, de taches livides et bleuâtres.