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de la verdure ! Chaque jour cependant la réalisation de ces rêves reculait : le capitaine semblait ne plus songer à l’île de France : nous croisions toujours.

Si les jours étaient tristes et sombres, combien la nuit l’était plus encore ! Une tempête continuelle, enveloppée d’épaisses ténèbres : pas un moment de repos. Bientôt deux fléaux vinrent mettre le comble à la mesure de nos maux et jeter la terreur parmi l’équipage : le scorbut et la gangrène se déclarèrent tout à coup à bord avec une violence extrême.

Le scorbut, que tout le monde connaît de nom sans savoir au juste quels affreux ravages il exerce, est, sans en excepter aucune, pas même la peste, la plus affreuse de toutes les maladies.

Le quatre-vingt-neuvième jour depuis notre départ de l’île de France, car nous comptions tous, dans notre anxieuse impatience, les jours à mesure qu’ils s’écoulaient, je me trouvais sur la dunette, à mon poste habituel, lorsque le lieutenant Rivière, se détachant d’un groupe d’officiers, s’en vint droit à l’Hermite, qu’il salua profondément :

— Parlez, monsieur, lui dit celui-ci ; que désirez-vous ?

— Capitaine, reprit M. Rivière, je suis chargé par mes camarades, de vous demander, au nom de la bienveillance que vous avez toujours daigné nous témoigner, si notre croisière doit se prolonger encore bien longtemps. Ne croyez pas au moins, capitaine, se hâta de poursuivre M. Rivière, que ce soit une vaine curiosité ou un sentiment de faiblesse qui nous pousse à solliciter de vous une réponse à ce sujet, non ; mais chaque jour nous assistons au désespoir et à l’accablement de l’équipage ; chaque jour, en visitant les blessés et les malades, nous